Appel à texte et à manifestation d’intérêt – Revue Phronésis
Environnements d’apprentissage et design capacitant : enjeux pour l’enseignement et la formation en contexte de crise
Numéro thématique coordonné par Solveig Fernagu (Laboratoire LINEACT CESI - sfernagu@cesi.fr) et Solange Ciavaldini-Cartaut (Laboratoire LAPCOS, Université de Nice Sophia Antipolis - Solange.Cartaut@univ-cotedazur.fr)
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Argumentaire du numéro
De nombreux chercheurs étudient l’apprentissage dans son rapport à divers contextes, qu’ils soient formels ou informels, au travail, en formation ou en éducation, voire dans la vie de tous les jours. Ils s’efforcent de mieux comprendre la combinaison des processus cognitifs, sociaux ou affectifs en jeu dans l’expérience d’apprentissage, avec les cadres, les méthodes et les lieux où elle s’opère. Les connaissances produites permettent de concevoir des environnements d’apprentissage différents de ceux qui sont traditionnellement convoqués dans ces champs de pratiques. C’est ainsi que ces dix dernières années de nouveaux lieux d’apprentissage émergent, de nouveaux espaces se configurent, de nouvelles modalités pédagogiques prennent forme, et réinventent notre manière d’aider à apprendre ou à mettre en capacité d’apprendre l’élève comme l’adulte en formation. De nombreuses disciplines concourent aujourd’hui à cette dynamique : l’ergonomie constructive, les sciences cognitives, les sciences du design, la psychopédagogie, la sociologie, l’anthropologie, les sciences de l’information, les neurosciences et les sciences de l’éducation et de la formation notamment.
Émergent de ces champs de recherches, sous la forme réflexions, de conceptualisations, d’interventions, d’expérimentations, des modèles éducatifs/formatifs alternatifs qui viennent parfois se substituer ou s’implémenter aux modèles traditionnels d’enseignement et de formation, et ils font de plus en plus leurs preuves. Enseigner ou former demain comme on enseignait et formait hier semble apparaître comme une utopie. La crise sanitaire que nous traversons vient corroborer l’idée de penser autrement les environnements d’apprentissages pour qu’ils soient plus efficients et plus efficaces.
Cette crise peut s’appréhender comme l’occasion de progresser en ce sens, se présenter comme une opportunité de renouveler nos modes de pensée et nos pratiques ou de renforcer certaines manières faire. En effet cette crise sanitaire marque peut-être un tournant décisif en invitant les concepteurs et les acteurs de l’éducation et de la formation à interroger le design de leurs interventions (pratiques pédagogiques, usages des technologies numériques, espaces, dispositifs et environnements d’apprentissage…) et à répondre aux questions qu’ils se posaient et auxquelles ils n’avaient pas pris le temps de répondre, notamment au travers des usages du numérique pour apprendre, de la place de l’expérience apprenant dans les processus d’apprentissage, ou du rôle des environnements sur les comportements d’apprentissage. Questions qui convergent vers le développement de pratiques plus centrées sur les processus d’apprentissage que leurs objets. Questions qui invitent à remettre en question des approches souvent trop ressourcistes selon lesquelles l’outil ferait l’artisan, et dont on sait, en particulier avec cette crise que la conversion des ressources par l’apprenant peut être difficile sans mobiliser des formats pédagogiques particuliers, des environnements qui seraient capacitants.
Les défis à relever à l’issue de cette crise sanitaire sans précédent sont nombreux. Il semble de plus en plus évident que si l’enseignement et la formation à distance se sont imposés comme des allants de soi grâce à des ingénieries pédagogiques mises en œuvre dans l’urgence, en marche forcée, de nombreuses leçons restent à tirer de ces expériences, tout comme de celles, prometteuses, qui ont précédé la pandémie. Les ingénieries pédagogiques requises pour le fonctionnement des dispositifs de formation ouverte et à distance, d’enseignements en présentiel enrichi par l’hybridation, ou du présentiel à géométrie variable par exemple ne peuvent faire l’économie d’interroger l’expérience utilisateur, son autonomie ou sa capacité d’autorégulation dans de nouveaux espaces d’apprentissage qui bouleversent la forme « scolaire traditionnelles ». Ces espaces, ces situations, ces dispositifs s’inscrivent dans de nouveaux environnements d’apprentissages qui méritent d’être explorés pour permettre au plus grand nombre d’être mis en capacité d’apprendre, que cela soit en termes d’opportunités, de ressources ou de moyens.
La notion d’environnement, pris dans un sens général, correspond à l’ensemble des conditions naturelles et culturelles dans lesquelles les organismes vivants, l’homme en particulier, se développent. Il constitue le cadre dans lequel les individus opèrent et il impose des conditions qui affectent et qui influent sur son développement et sur son activité (Väljataga et Laanpere, 2010). En ce sens un environnement d’apprentissage est composé de ressources (matérielles, virtuelles, physiques, humaines, technologiques, etc.) qui sont là pour soutenir un projet d’apprentissage et lui donner du sens. Il désigne « les éléments délimitant les contours et les composants d’une situation, quelle qu’elle soit, au cours de laquelle il est possible “d’apprendre”, c’est-à-dire de mettre en œuvre un processus de changement des conduites et/ou des connaissances » (Blandin, 2006)
Le mot environnement renvoie donc à ce qui est « autour de nous » à un moment donné. Il est milieu, il est espace, géosphère, biosphère, écosphère ou technosphère. Il est « tour », « entours », « alentours », « autour », « anneau ». Il est mouvement et forme, contenant et contenu (Techno science.net, 2010). Mouvement car appelé à se transformer en raison des interactions qui y prennent forme et le rendent évolutif, contenu en raison de ce qu’il abrite et dont les conséquences ne sont pas neutres pour lui donner son mouvement, sa dynamique.
Ce numéro thématique de Phronésis s’intéresse tout particulièrement aux environnements d’apprentissage qui s’éloignent des formes traditionnelles d’enseignement et de formation (la classe, la salle de cours, etc.) et des règles canoniques de la transmission des savoirs (magistralité, transmissivité, etc.) pour s’ouvrir aux expériences d’environnements qui s’intéressent à la manière dont les apprenants sont mis en capacité de se saisir des ressources qui sont à leur disposition pour apprendre, que cela soit en termes de savoirs, d’espaces, de lieux, de moyens, de processus, de modalités d’accompagnement… À ceux-là mêmes qui leur permettent d’être mis en situation d’acteurs de leurs apprentissages et soutenus en ce sens.
Quels seront les environnements d’apprentissage de demain pourrait être la question ?
De toute évidence, l’espace même des apprentissages, leurs lieux et leurs modalités sont appelés à se transformer, ou à continuer leur mouvement de transformation vers des environnements plus flexibles, plus hybrides, plus modulaires, plus reconfigurables, et dont le design soutiendra des conduites d’apprentissages différentes, plus collaboratives mais aussi plus autonomes ou autodéterminées. Comment accompagner ce mouvement, cette dynamique pour s’affranchir de cultures, de normes, devenues en partie caduques ? Ce numéro apportera quelques réponses en ce sens autour de plusieurs thématiques.
La première thématique portera sur les “New flexible learning spaces” : les Nouveaux Espaces flexibles d’Apprentissage (NEA)
Dans ces nouveaux environnements au design capacitant, il est possible de rester dans la classe ou dans la salle de formation mais d’agir sur la configuration de l’espace, son agencement et son équipement mobilier : ce sont des Nouveaux Espaces physiques flexibles d’Apprentissage (NEA). L’aménagement du lieu et des situations (espaces modulables, zones de silence, zones de travail en binôme ou selon des modalités collaboratives, etc.) apparaît fondamental pour qu’adviennent différentes formes d’apprentissages et s’y déploient une pluralité de pédagogies. Ces NEA se distinguent radicalement de la « classe autobus » (ou « amphithéâtre autobus »), intégrant des potentialités liées aux technologies et aux équipements numériques, invitant à élargir et hybrider les temps d’apprentissage (sortir de l’unité de lieu et de temps pour la séquence ou le processus d’apprentissage). Ils établissent de nouveaux rapports à l’environnement grâce à un triple mouvement architectural, technologique et pédagogique : le design de la classe est au bénéfice de l’autonomie de l’apprenant, l’amphithéâtre devient interactif, le Centre de Documentation et d’Information se transforme en “bulle apaisante de ressourcement”, et au-delà des salles spécialisées (informatique, sciences expérimentales) de nouvelles niches de bien-être se développent en extérieur comme des alcôves ouvertes sur des jardins où le plaisir d’apprendre s’y cultive de nouveau. D’après Rosan Bosch (2018, p. 12) « Nous apprenons mieux lorsque nous sommes actifs, lorsque l’on bouge, plutôt qu’assis sur une chaise toute la journée. Nous percevons les connaissances plus rapidement lorsque nous sommes engagés dans une expérimentation pleine de sens, plutôt qu’en étudiant le savoir seul. Nous prenons plaisir à apprendre avec les autres. Nous apprenons mieux quand la curiosité devient notre moteur ». Pour l’auteure le design capacitant est un outil stratégique permettant de réactualiser ou d’inventer des espaces d’apprentissages stimulants, motivants et « énergisants » tant pour les élèves que pour les enseignants. Ainsi, « les espaces physiques d’apprentissages devraient être aussi divers que les personnes qui les côtoient » (Op. Cit, p. 15). Au sein des institutions (université, école, établissements d’enseignement et de formation) et des entreprises qui expérimentent avec succès les NEA, les pratiques d’éducation, d’enseignement, de formation et d’accompagnement contribuent aussi à un gain de qualité de vie.
La seconde thématique concernera les « New learning spaces » : les tiers-lieux de production et d’apprentissage utilisant des technologies digitales
Aujourd’hui, « concevoir l’école ou la formation en réseau dans son territoire » invite à considérer que l’environnement qu’on lui associe est ouvert à de nouvelles alliances avec des écosystèmes économiques, de nouvelles disciplines d’études, d’autres modes de gouvernance, etc. Au sein de territoires apprenants s’opère une ouverture des milieux formels d’éducation et de formation vers des partenaires industriels, culturels dans des tiers-lieux d’apprentissage, des espaces de co-working ou de co-conception, des fablabs, des hackerspace, des learning lab, des créativ lab, des centres de documentation des bibliothèques, des ressourceries, des fabriques de territoires : il s’agit d’espaces et de situations “à vivre” où il est possible d’acquérir des connaissances et des compétences sans qu’un formateur ou qu’un enseignant ne soit l’unique médiateur de l’expérience d’apprentissage. Ces tiers lieux d’apprentissage offrent l’opportunité de pratiques centrées sur le faire par soi-même et l’apprendre par le faire, mais aussi l’apprendre avec les autres (Mission tiers lieux, 2018). Grâce aux technologies à visée de production et au design capacitant de l’espace, sont facilités la créativité, l’innovation, le travail collaboratif et le partage de ressources au sein d’une communauté de projets (voire de les pérenniser). On peut s’interroger sur la contribution de ces tiers-lieux au renouvellement des questions relatives à l’apprentissage en situation de travail.
La troisième thématique ouvrira aux « métadesign learning spaces » : aux dispositifs de formation à distance ayant traversé la crise et à leur impact sur les environnements de demain, notamment en matière d’hybridation des dispositifs.
Il ne fait aucun doute que la crise va inscrire durablement l’idée même d’hybrider les dispositifs de formation et d’enseignement, comme alternative au tout distanciel et au tout présentiel, en alternant présentiel et distanciel selon un savant dosage dont il reste à comprendre les ingrédients de la réussite. Quelles sont les pédagogies les plus à même de se déployer à distance et quelles sont celles qui n’échapperont que difficilement au présentiel ? Quels sont les facteurs qui vont infléchir sur l’ingénierie de ces environnements mixtes ? “Serions-nous donc aujourd’hui dans une dynamique politique, sociale, économique, technologique, etc. qui rendrait ce changement de paradigme d’enseignement et d’apprentissage et ce renouvellement des pratiques ingénieriales incontournable ? (Peraya et Peltier, 2020). Penser l’ingénierie de crise comme un accès à des contenus a montré ses limites. Quelles formes pourraient alors prendre ces environnements pour aller au-delà de ces approches qui ont été nombreuses et ont montré leurs limites (Béduchaud et al, 2020, Dares, 2020, Caron, 2020, Blandin, 2020, Alonso et al., 2020). Il peut être prématuré de tirer des leçons définitives des expériences qui viennent d’être vécues mais sans doute peut-on commencer à réfléchir à la manière dont ces expériences vont changer les ingénieries et le design pédagogiques des environnements d’apprentissage de demain, dans quelle proportion, selon quelles modalités, et pour quels effets ? Allons-nous laisser derrière nous “les espaces-temps présentiel clos” (Peraya, 2018) pour des espaces plus hybrides et plus personnels ?
Calendrier et processus d’évaluation des articles soumis
- Transmission de l’article par l’auteur ou les auteurs au coordonnateur du numéro au plus tard pour le : 1er mai 2021
- Transmission de l’article par le coordonnateur du numéro aux évaluateurs au plus tard pour le : 10 mai 2021
- Retours des évaluations transmises au coordonnateur du numéro avec en copie le directeur de la revue au plus tard pour le : 15 juin 2021
- Transmission par le directeur de la revue de la grille de synthèse des évaluations à l’auteur ou aux auteurs au plus tard pour le : 20 juin 2021
- Transmission de l’article révisé au coordonnateur du numéro avec en copie le directeur de la revue au plus tard pour le : 15 juillet 2021
- Publication envisagée au plus tard : fin 2021