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Les outremers au prisme des inégalités. Regards théoriques et leviers pour l’action.

Le Centre de Recherches et de Ressources en Éducation et Formation présente

Les Outremers au prisme des inégalités

Regards théoriques et leviers pour l'action

Cet événement se tiendra sur Zoom, le 07 mai 2021 de 8h30 à 16h45.

Résumé

Présentés tour à tour comme des paradis touristiques, des territoires assistés, des lieux de catastrophes naturelles ou de crises sociales qui se répètent, les outremers sont nés sur les cendres de profondes inégalités institutionnelles (Code de l'indigénat, Code Noir, bagne, entre autres) cultivées par plusieurs siècles d’exploitations. Partie intégrante de l’État français à partir de 1946 et une politique d’assimilation culturelle, les 11 zones géographiques habitées sont pourtant peu connues et brillent souvent de par leurs absences dans les écoles de la République.
Parfois considéré·es comme des citoyen·nes de seconde zone, les ultra-marin·es ont donc une place très exiguë dans le roman national (De Cock, 2018). De plus, les phénomènes inégalitaires qui peuvent s’y produire peuvent aisément être passés sous silence. Ainsi, cette méconnaissance a pour corollaire la diffusion de nombreux clichés et étiquettes apposées sur les populations en question.

Loin d’être homogènes, des différences existent entre les outremers. Pour autant, un certain nombre d’indicateurs placent ses territoires dans une situation inégalitaire vis-à-vis de la France hexagonale. Le taux de chômage avoisine les 20% contre 10% en France. Le chômage frappe plus durement les jeunes ultra-marin·es actif·ves de moins de 25 ans sans diplôme. Le taux de pauvreté, qui d’ailleurs est calculé sur des bases différentes d’un territoire à l’autre, y est au moins deux à trois fois plus important qu’à l’échelle national. Le taux de décrochage scolaire y est aussi deux fois plus élevé qu’en France hexagonale. Selon une étude réalisée par le ministère de l’Éducation nationale, lors des journées de défense citoyenne organisées en 2016, la part des jeunes de 18 ans en difficulté de lecture y atteint entre 30% et 75% (27,6% à La Réunion, 30,4% en Martinique, 33% en Guadeloupe, 48,4% en Guyane et 74,9% à Mayotte) contre 10% sur l’ensemble du territoire national. Les plus faibles taux de réussite au baccalauréat général caractérisent les outremers et le milieu urbain francilien ou lyonnais paupérisé (Blanchard-Schneider, Botton, Miletto & Caro, 2018) à mettre en parallèle avec le fort taux de personnels contractuels (Cour des comptes, 2018) et une offre de formation limitée. Les inégalités scolaires dans les outremers se manifestent aussi fortement dès l’enseignement primaire par l’absence de maîtrise des savoirs fondamentaux (CESE, 2015). À l’heure où l’épidémie de COVID-19 s’installe durablement, il y a de fortes chances que les communautés les plus éloignées et les plus marginalisées paient le prix fort des dommages collatéraux suite aux confinements et aux diverses restrictions économiques et sociales (Weiss et al., 2020). De plus, le nombre de bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA) représente plus de 10% des populations ultra-marines contre 4% de celle du continent. De manière générale, des carences en matière d'infrastructures (numériques, transport, assainissement), de services publics collectifs (pôle-emploi, recherche- développement) ou de prestations individuelles (complément familial, allocation de logement) sont réelles.

Cette journée d’étude cherche à donner de l’importance à ces territoires en mettant l’accent sur les inégalités à la fois vis-à-vis de la France hexagonale en termes d’accès aux droits, de reconnaissance, etc. mais aussi au regard des traitements inégalitaires qui se produisent à l’intérieur des territoires eux-mêmes. Loin de nous satisfaire d’un aspect dénonciateur, parfois nécessaire pour lancer le débat, nous chercherons d’une part à porter un discours scientifique sur les outremers en général et les inégalités présentent. D’autre part, nous laisserons une place aux initiatives locales qui luttent pour la connaissance et la réduction des inégalités sur le territoire martiniquais en particulier. 6 grandes thématiques ont été retenues pour cette journée :

Inégalités linguistiques : Les langues des outremers n’ont jamais pu occuper une place aussi importante que « la langue de la République ». Les langues des outremers ne sont pas des langues de France comme le mentionne le ministre de l’Éducation M. Blanquer en novembre 2017, « il y a une seule langue française, une seule grammaire, une seule République ». La valorisation de ces langues régionales a toujours été perçue comme des menaces pour « la langue de France ». La cohabitation et le conflit des langues présentent la notion de la diglossie (Ferguson, 1959) qui provoquent une hiérarchisation et une idéologie hégémonique des langues. Ces attitudes produisent des comportements glottophobes (Blanchet, 2016), mais présentent aussi l’intérêt de repenser les normes identitaires (Lebon-Eyquem, 2008). Les populations ultra-marines sont des populations plurilingues, des langues peu ou pas valorisées, notamment dans nos écoles, comme c’est le cas des langues de l’immigration par ailleurs. Accorder de l’importance au plurilinguisme, à l’interculturalité et aux pratiques artistiques, c’est aussi repenser nos choix pédagogiques et innover l’accueil des élèves plurilingues dans nos établissements scolaires (Butcher, 2020).

L’inégalité d’accès aux droits et la xénophobie : Les sociétés caribéennes, comme toute société, n’échappent pas aux phénomènes xénophobes. Ces derniers touchent des populations particulières aux Antilles. M. Meudec (2017) révèle que « concrètement, les personnes d’origine haïtienne sont souvent stigmatisées, déshumanisées et discriminées dans les sociétés caribéennes ». L’Association de défense des droits des étrangers caribéens en Martinique, ASSOKA, dénonce le harcèlement policier, soutient les migrant·es dans leurs situations précaires et défend surtout leur droit à l’accès aux droits.

Égalité des droits : Depuis 2012, KAP Caraïbe, association citoyenne martiniquaise, lutte contre toutes les formes de discriminations et plus particulièrement les discriminations homophobes, et vient en aide au public LGBTQI+ en difficulté. Si elle cherche à mettre en lumière la peur dans laquelle vivent les homosexuel·les, elle mène aussi un travail pour faire reculer la grande méconnaissance de la population sur le sujet. Trois objectifs principaux structurent l’association : accompagner les personnes LGBTQI+ et leur entourage, lutter contre toute forme de discrimination, militer pour l’égalité des droits. La recherche scientifique peine à construire ce type de  savoir pourtant nécessaire pour comprendre et agir (cf. la recherche Acadiscri en cours).

Inégalités environnementales, écologie du travail : Les inégalités doivent être regardées sous l’angle de la question environnementale et du rapport à la terre. À travers l’analyse écologique, Malcom Ferdinand (2019) propose de repenser l’histoire des territoires anciennement colonisés. Pour régler la crise écologique, il est indispensable de prendre en compte des inégalités sociales et raciales héritées des colonisations et de l’esclavagisme. Les luttes sociales en réaction à l’utilisation massive du Chlordécone, la pollution des sols antillais et la non-reconnaissance des méfaits d’un produit reconnu cancérigène des décennies plus tôt (Oublié, 2020), constituent un exemple flagrant de dénonciation d’un traitement inégalitaire par les populations antillaises. Certaines théories qui servent de trame à l'écriture des politiques publiques déployées les Outremers ont parfois tendance à aggraver les inégalités. C’est par exemple le cas de la loi sur la pénibilité au travail qui, au regard du quotidien du et de travail des ouvriers agricoles de la banane, les exclut de toute politique de prévention (Laport, 2008). La réalité du et de travail des ouvriers de la banane est très souvent occultée, Danielle Laport contribue à faire la lumière sur cette réalité grâce à un travail de terrain qu’elle a réalisé dans des exploitations bananières.

Égalité et visibilité : Les luttes pour l’égalité passent aussi par la réhabilitation des figures passées comme c’est le cas dans le récent ouvrage d’Audrey Célestine (2020). Les portraits de ces femmes antillaises, parisienne ou encore américaine, d’héroïnes ou d’oubliées de l’histoire, permettent tant de retracer leurs combats contre le racisme, le sexisme, la ségrégation et les formes de dominations que d’éclairer les générations actuelles et futures.

Inégalité et exclusion : Les études sur le handicap touchant les populations ultra-marines sont à la fois peu nombreuses et encore moins récentes surtout en ce qui concerne les Antilles. En 2011 à la Martinique, 17 % des personnes étaient concernées par une forme de handicap (INSEE, 2011a), cette proportion était de 12% pour la Guadeloupe (INSEE, 2011b). Qu’en est-il en dix ans après, en 2021 ? Et quelle est la situation, 15 ans après la loi « Handicap » ? Si les taux de personnes vivant un handicap dans les Outremers peuvent être proches de ceux découverts en hexagone, la question de l’accompagnement des personnes reste centrale. Les « retards » en matière de politique du handicap sur ces premiers territoires ont été pointés par la députée réunionnaise Ericka Bareigts depuis 2018 (manque de classe pour les enfants, manque de structure d’accueil pour les personnes handicapées et manque d’ambitions pour les Outremers). Lors de l'examen de la loi santé en 2019, ces questions demeurent et feront l’objet de discussions lors de cette journée.

Cette journée souhaite apporter sa contribution aux luttes pour l’égalité des droits, contre les traitements inégalitaires et pour entrevoir les actions possibles pour corriger les inégalités.

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