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Formation des enseignants : « Nous sommes en réforme permanente » (Alain Frugière, Réseau des Inspé)

Le Réseau des INSPÉ est autorisé à reproduire, avec l’aimable autorisation de News Tank Éducation & Recherche, cet article.

« Depuis que j’ai pris la direction de l’IUFM de Paris [devenu Inspé] en 2009, nous sommes en réforme permanente, il n’y a aucun moment de stabilité. Ce n’est pas une critique des tutelles mais un constat : cela complexifie les choses », déclare Alain Frugière, président du Réseau des Inspé, lors d’un entretien avec News Tank le 01/03/2023.

Interrogé sur les différentes politiques menées autour de la formation des enseignants ces dernières années, il considère que « le bénéfice d’une nouvelle réforme serait moindre que les inconvénients. Mais même si l’on n’en parle pas encore, nous sentons bien que quelque chose se passe, en particulier du côté du premier degré. »

« Nos collègues, formateurs en Inspé, ont une adaptabilité exceptionnelle, mais le changement permanent crée une situation de stress. De plus, des études ont montré que les pays qui réussissent le mieux sont ceux qui ont une grande stabilité et lisibilité du système. »

Concernant le manque d’attractivité de la formation et de la profession d’enseignant, il estime que celle-ci « repose sur des candidats en quantité, mais aussi en qualité, qui fassent le choix de devenir enseignant par envie et non par défaut.

Ce sujet est plutôt entre les mains du ministère qu’entre les nôtres. La part qui revient aux Inspé en revanche est de donner de la lisibilité sur le métier, et de montrer aux étudiants qu’ils ne seront pas délaissés. »

Il évoque ainsi la possibilité de créer un label sur Parcoursup, « pour mettre en évidence les voies d’accès au métier, car il est difficile pour un lycéen de savoir vers quel parcours se tourner pour devenir enseignant. »

Le bénéfice d’une nouvelle réforme serait moindre que les inconvénients

Quel constat faites-vous concernant la politique et les réformes de la formation des enseignants ces dernières années en France ?

Alain Frugière : Si l’on observe les évolutions sur les 20 ou 30 dernières années, il y a quelque chose de positif : on considère de plus en plus que les métiers d’enseignant et de CPE sont de vraies professions, qui nécessitent une formation sur l’ensemble des compétences professionnelles et pas uniquement sur les compétences disciplinaires.

Depuis que j’ai pris la direction de l’IUFM de Paris [devenu Inspé] en 2009, nous sommes en réforme permanente, il n’y a aucun moment de stabilité. Ce n’est pas une critique des tutelles, mais un constat : cela complexifie les choses.

Il y a eu deux réformes en 2009, celle des structures et celle de la formation ; puis la réforme de 2013 avec la création des Espé, et de nouvelles réformes avec le ministre Jean-Michel Blanquer, à la fois de l’institution, des concours et de la formation. Pour le moment, nous ne parlons pas encore de réforme, mais nous sentons bien que quelque chose se passe, en particulier du côté du premier degré.

Vous préféreriez une plus grande stabilité ?

AF : Il ne s’agit pas de dire qu’il faut tout arrêter ; il faut toujours améliorer le système, mais ne pas le bouleverser complètement. Le bénéfice d’une nouvelle réforme serait moindre que les inconvénients. Nos collègues, formateurs en Inspé, ont une adaptabilité exceptionnelle, mais le changement permanent crée quand même une situation de stress. De plus, des études ont montré que les pays qui réussissent le mieux sont ceux qui ont une grande stabilité et lisibilité du système.

Nous avions fait des propositions en ce sens lors de la présidentielle 2022. Plutôt que de tout rebasculer, il serait préférable de voir comment, dans le schéma actuel, nous pouvons améliorer le dispositif. Il n’y a pas encore eu d’évaluation de ce qui a été fait précédemment. La dernière réforme a eu lieu en 2022 et nous recevons tout juste les premiers nouveaux fonctionnaires stagiaires.

Observez-vous néanmoins des premiers effets de cette dernière réforme, qui a déplacé le concours en fin de M2 ? 

AF : Nous avons connu une surprise : à la rentrée 2022, nous avons eu beaucoup plus de fonctionnaires à temps plein que prévu, c’est-à-dire des étudiants issus de master Meef. Traditionnellement, dans le second degré, 40 % des lauréats sont issus d’un master Meef et 60 % viennent de masters disciplinaires. Or, cette année, nous étions à peu près à 50-50, d’après nos chiffres.Dans l’académie de Paris, le ministère prévoyait neuf stagiaires à mi-temps en EPS pour la rentrée 2022. Il y en a eu zéro.

Nous ne nous y attendions pas, car le vivier des étudiants issus de master Meef était réduit l’année dernière, à la suite de la réforme, puisque seuls les candidats qui n’avaient pas eu le concours l’année précédente pouvaient se présenter.

C’était assez étonnant, car il s’agissait d’un public diminué en nombre, et qu’on peut globalement considérer comme plus fragile puisqu’ils n’avaient pas eu le concours en 2021. Cela semble montrer que la réforme du concours fait son œuvre, mais il faudra attendre les résultats de la session 2023 pour le confirmer.

Quel est l’impact sur la formation des stagiaires ?

AF : En matière d’organisation, cette différenciation des stagiaires est complexe. Les stagiaires à mi-temps en responsabilité en école, collège ou lycée, ont entre 220 et 250 heures de formation à l’Inspé. Mais, dans certaines disciplines, nous avons parfois des effectifs très réduits avec seulement deux ou trois étudiants. Dans ces cas-là, il est très compliqué d’organiser une formation.

Il faut réfléchir au salaire, mais aussi repenser les évolutions de carrière.

La réforme a un coût financier, que le ministère a compensé, mais elle a aussi un impact sur la dynamique pédagogique. Le problème existait déjà dans certaines matières, comme le polonais ou le japonais par exemple, mais désormais un nombre plus important de disciplines sont touchées. C’est aussi un sujet qui doit se réfléchir pour l’avenir et nous ferons très certainement des propositions au ministère sur le sujet.

En septembre 2022, le Réseau des Inspé évoquait un risque de pénurie de tuteurs de stage. Qu’en est-il aujourd’hui ?

AF : Nous avons eu des inquiétudes réelles en début d’année, mais à l’heure actuelle, ce problème semble résolu. Néanmoins, il s’agit d’un sujet important sur deux plans, celui du vivier et celui de la rémunération.

Il nous faut réussir à stabiliser ce dispositif et avoir un vrai vivier parce que si l’on veut monter en puissance dans la formation, nous aurons besoin de plus en plus de tuteurs. Envoyer beaucoup d’étudiants dans les établissements n’est pas simple pour les principaux, les proviseurs et les directeurs d’école.

Pour les enseignants qui accueillent des étudiants dans les classes, c’est un surcroit de travail, donc c’est un gros sacrifice. Il faut donc réfléchir au salaire, mais peut-être aussi repenser les évolutions de carrière. Il y a un panel de mesures à mettre en place pour motiver les gens à être tuteur et qu’ils soient de vrais formateurs.

Séparer le premier du second degré serait une forme de régression.

En novembre 2022, un rapport des députés Cécile Rilhac et Rodrigo Arenas présentait 13 recommandations, dont le déplacement du concours de recrutement de professeur des écoles en fin de L3. Qu’est-ce que cela vous inspire ? 

AF : Nous ne partageons pas cette position-là. Ce serait une vraie erreur de séparer le premier du second degré, voire une forme de régression. C’est un acquis des différentes réformes : recruter avant tout des enseignants, quel que soit le degré d’enseignement.

Beaucoup d’éléments sont communs aux deux professions : les valeurs de la République, la laïcité, la lutte contre les discriminations, l’égalité entre les hommes et les femmes, l’école inclusive, le numérique éducatif, etc. Bien entendu on ne traite pas les questions d’égalité femmes-hommes de la même manière en maternelle et en terminale, mais il y a des invariants. C’est aussi un acquis depuis le référentiel de 2013 sur les compétences professionnelles des enseignants et des CPE.

Par ailleurs, une telle mesure pourrait être mal vécue au niveau psychologique avec l’idée d’un niveau d’exigence moindre pour le premier degré.

Enfin, il y a un autre problème : quel serait le type d’épreuve d’un concours en fin de licence ? Si ce sont des épreuves purement disciplinaires, cela veut-il dire que les étudiants devront attendre les deux années de master Meef pour travailler sur les autres compétences professionnelles ?

On comprend que, pendant ces deux années, les étudiants seraient en alternance. Cela revient à dire moins d’heures de cours à l’Inspé : on passerait d’une formation de 800 à 900 heures à probablement 450 ou 500h. Ce serait moins professionnalisant et on atteindrait presque l’objectif inverse.

Les députés proposent également de rémunérer les étudiants durant leurs deux années de master, ce qui pourrait rendre la formation des professeurs des écoles plus attractive… 

AF : On compte effectivement de plus en plus d’étudiants-salariés. C’est un phénomène qui s’amplifie et donne des situations parfois aberrantes. Cela ne devrait pas être possible d’avoir des étudiants en contrôle terminal dans un master professionnel : ils préparent un métier, pas seulement le concours, et ont donc besoin de tous les enseignements.

Nous plaidons pour cinq années pleines de formation progressive.

Nous comprenons la logique des députés, consistant à dire qu’après le concours, les étudiants se dégageraient des contingences matérielles pour se professionnaliser. Mais alors pourquoi pour le premier degré et pas pour le second degré ?

Nous plaidons pour cinq années pleines de formation, au terme desquelles une fois seuls devant leur classe, ces étudiants se sentent formés à 100 %. Il faut penser à un cursus d’entrée dans le métier long, progressif, avec des allers-retours sur le terrain, une première connaissance des élèves, puis petit à petit, une prise en main de la classe. Il faut sécuriser les étudiants sur les moyens financiers, mais aussi sur la progression des compétences.

De plus en plus de personnes ne passent pas le concours et préfèrent un statut de contractuel. Cela vous inquiète-t-il ?

AF : Il y a actuellement 22 % de contractuels de l’éducation nationale. Une situation pour partie subie, et pour partie choisie. De plus en plus des jeunes ne veulent pas passer les concours, particulièrement dans les régions hors Île-de-France à cause de la crainte de venir à Créteil ou à Versailles, où les conditions de travail sont perçues comme plus difficiles. De plus, certains sont installés dans une vie familiale, professionnelle, sociale et se dire que l’on pourrait être envoyé loin de son lieu de vie peut constituer un repoussoir.

Voilà pourquoi des gens réussissent leurs concours, mais préfèrent devenir contractuels pour rester là où ils sont. Nous n’avions pas anticipé que pour certains jeunes, le simple fait d’entrer dans la fonction publique et de se dire qu’ils resteront 30 ou 40 ans dans le même métier peut créer un blocage. Cela peut paraître surprenant, mais ce sont des signaux à prendre en compte, bien que le problème ne soit pas quantifié. Il faudrait faire une étude sérieuse pour connaître les motivations précises de ces étudiants.

Il y a certainement un travail à faire au sein du ministère de l’éducation nationale et entre les ministères pour proposer des évolutions de carrière. Les systèmes sont parfois vécus comme rigides par les jeunes.

Dans le premier comme le second degré, la profession d’enseignant souffre d’un manque d’attractivité. Les inscriptions aux concours de recrutement 2023 ont même été prolongées de deux semaines. Comment le Réseau des Inspé réagit face à cela ? 

AF : L’attractivité repose sur deux choses : des candidats, en quantité, mais aussi en qualité. Il faut que ces gens fassent le choix de devenir enseignant par envie et non par défaut. Ce sujet est plutôt entre les mains du ministère qu’entre les nôtres.

La part qui revient aux Inspé en revanche est de donner de la lisibilité sur le métier, et de montrer aux étudiants qu’ils ne seront pas délaissés. En effet, l’image véhiculée par les médias n’est pas toujours favorable. Le drame de Samuel Paty a aussi profondément traumatisé la population. Savoir que dans l’exercice de son métier, on peut être sauvagement assassiné marque les esprits, même si c’est bien sûr marginal.

Donner de la lisibilité sur le métier

Aujourd’hui, il est difficile pour un lycéen de savoir vers quel parcours se tourner pour devenir enseignant. Au sein du Réseau, nous avions demandé qu’il y ait une sorte de label – ou même plusieurs – sur Parcoursup pour mettre en évidence les voies d’accès au métier. Il pourrait y avoir des licences vraiment dédiées et d’autres un peu moins, mais avec des majeures-mineures.

Il faudrait qu’il y ait au moins deux ou trois propositions pour que les jeunes puissent faire ce choix d’emblée. Il s’agit surtout d’avoir un outil, au niveau national, qui soit cohérent et clair. Ce travail de labellisation devrait être réalisé du côté du ministère, de la Dgesip, et bien entendu en lien avec France Universités. Cela pourrait par exemple faire partie du processus d’accréditation des universités. C’est un des moyens, pas le seul, qui contribuerait à renforcer l’attractivité.

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