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Zoom sur le métier de Professeur-documentaliste

Contributeurs :
- Michèle Archambault. Professeure agrégée, directrice adjointe de l'INSPÉ de l'académie de Strasbourg, coresponsable Master MEEF Documentation.
- Anne Cordier. Maîtresse de conférences HDR en Sciences de l'Information et de la Communication à l'INSPÉ Normandie Rouen.
- Anne Coubès. Professeur-documentaliste, responsable du service de documentation. INSPÉ de l'académie de Montpellier.
- Eric Delamotte. Professeur des Universités en Sciences de l'Information et de la Communication. INSPÉ Normandie Rouen.
- Anne Lehmans. Professeure des Universités, responsable du Master MEEF documentation et du master Pratiques et ingénierie de la formation, parcours Médiation et médiatisation des savoirs, INSPÉ de l'académie de Bordeaux.

Quelles sont les missions du professeur-documentaliste ?

Elles sont définies institutionnellement par la Circulaire du 28/03/2017 qui distingue trois types de missions : éducative (l’acquisition d’une culture de l’information et des médias par tous les élèves), de gestion (organisation et mise à disposition des ressources documentaires dans l’EPLE, gestion du système d’information documentaire), de communication (ouverture, culture et partenariat).

Dans la pratique, le.la professeur.e documentaliste assure également des missions transversales de médiation, particulièrement autour de la lecture, de la culture, de la communication et des enjeux du numérique, à travers des actions d’animation et des projets. Il.elle est un.e professeur.e à part entière, qui mène des séquences pédagogiques, seul.e ou en partenariat avec des enseignant.es de toutes les disciplines, selon le contexte propre à l’établissement.

Le.la professeur.e documentaliste est l’héritier.e des innovateurs dont celles et ceux de la pédagogie nouvelle. Au sein du CDI et dans l’établissement, il.elle vise une participation active et autonome des individus à leurs apprentissages, notamment en adoptant des méthodes d’enseignement-apprentissage coopératives et collaboratives autour du document et de l’information.

Comment cet enseignant un peu « à part » travaille-t-il au sein de son établissement et de l’équipe pédagogique ?

C’est un enseignant à part entière, mais aussi à part en effet, puisque la discipline “information-documentation” n’existe pas dans les programmes de l’éducation nationale, contrairement aux programmes de l’enseignement agricole. En revanche, les références à l’éducation aux médias et à l’information, aux enjeux de la communication, et à la culture numérique, traversent les disciplines et les programmes, comme les questions informationnelles et communicationnelles qui sont au cœur de sa discipline de référence, les sciences de l’information et de la communication. Cette situation “à part” peut être considérée comme une ressource qui fait du CDI un espace également “à part”, dans lequel les apprentissages peuvent être diversifiés, individualisés ou collectifs, la réflexion et l’expression moins contraints par les programmes que dans la classe, l’ouverture sur le monde et ses débats rendue possible. Le.la professeur.e documentaliste travaille donc nécessairement avec toutes les équipes, plutôt à partir de projets, et il.elle est susceptible de devenir un.e acteur.ice central.e dans la dynamique des équipes, à condition bien sûr que soit pleinement reconnue son expertise pédagogique et didactique dans le champ des sciences de l’information et de la communication.

Face à l’explosion et à la diversification des sources d’information, à l’essor des “fake news” et des théories du complot, le professeur-documentaliste joue un rôle fondamental, en particulier pour l’éducation aux médias et à l’information (EMI). Comment cet enseignement est-il organisé et avec quels moyens ?

L’éducation aux médias et à l’information représente un enjeu central dont les événements relayés par la presse rappellent chaque jour l’importance centrale mais aussi la complexité et les besoins.

L’EMI n’est pas un enseignement (caractérisé notamment par une discipline) mais une “éducation à”. La nuance est de taille puisqu’il n’y a pas stricto sensu de cours d’éducation aux médias et à l’information, pas plus que d’enseignements en information-documentation, et que tous les enseignants sont censés la traiter.

Au cycle 3 comme au cycle 4, un programme énumère les compétences à travailler (autonomie dans les usages, exploitation raisonnée et responsable de l'information, capacité à produire et communiquer). Le.la professeur.e documentaliste est le.la seul.e expert.e dans ce domaine, d’où l’importance d’une solide formation qui repose sur des bases scientifiques et épistémologiques fortes.

Il n’y a pas de nombre d’heures en classe ou en CDI contraint. Les collèges ont souvent installé une tradition d’heures “CDI”, dites d’“initiation à la recherche documentaire” (termes problématiques par l’approche technique qu’ils suggèrent) en sixième, que l’on retrouve fréquemment, mais l’essentiel des heures consacrées à l’EMI se fait sur projets, souvent sur proposition du.de la professeur.e documentaliste, à tous les niveaux de la scolarité secondaire, avec toutes les disciplines, potentiellement.

Certains moments du curriculum scolaire sont stratégiques : le passage de l’école au collège, le projet du brevet, le “grand oral” du bac. Certaines disciplines sont susceptibles de solliciter particulièrement le professeur documentaliste pour l’EMI : l’enseignement moral et civique, les sciences numériques et technologie en seconde, numérique et sciences informatiques ensuite, par exemple. Certains thèmes impliquent nécessairement l’EMI : la liberté d’expression, le développement durable, l’égalité garçons-filles, les arts et la culture, l’esprit critique, la santé, l’inclusion par exemple. Certains dispositifs sollicitent nécessairement le.la professeur.e documentaliste : les parcours, l’évaluation des compétences numériques avec PIX, la semaine de la presse, par exemple. Pour mener les projets, le CLEMI est un partenaire privilégié, comme l’est l’environnement culturel et documentaire des établissements (médiathèques, musées, associations d’éducation populaire, etc.).

Dans tous les cas, il est important de ne pas restreindre l’EMI à la vision des fake news et des théories du complot. L’éducation aux médias et à l’information concerne aussi l’évaluation de l’information, sous toutes ses formes, dont l’information scientifique et technique, la culture des sources, mais aussi la démarche de traitement et de communication de l’information, pas seulement médiatique.

Comment devient-on professeur-documentaliste ?

On devient professeur.e documentaliste après avoir été lauréat.e du CAPES (externe ou interne) de documentation et validé une année de stage et un master 2. On peut aussi être recruté.e en tant que contractuel.le.

La voie la plus “naturelle” reste la préparation d’un master MEEF parcours documentation en 2 ans. Les étudiant.e.s qui choisissent cette voie sont issu.e.s de licences diverses, certain.e.s d’un parcours en information-documentation, mais pas tou.te.s. La plupart des étudiant.e.s vient de parcours très hétérogènes et découvre les SIC, et donc l’information-documentation, en master. De plus en plus, ils.elles font ce choix après une première expérience professionnelle et se réorientent en toute connaissance de cause. Les étudiant.e.s en documentation sont donc particulièrement motivé.e.s et enthousiastes.

Quelles sont les qualités nécessaires à l'exercice de ce métier ?

Les qualités sont nombreuses, beaucoup sont celles attendues chez tout enseignant ! Pêle-mêle : l’ouverture d’esprit, la curiosité, la pédagogie, l’empathie, la capacité à écouter, la créativité, le dynamisme, le goût pour le partage et la réalisation d’activités de médiation en direction des autres, le sens critique et de l’initiative, la capacité à travailler en équipe, la détermination.

Ces qualités se développent aussi au fur et à mesure de la formation. Ainsi la formation initiale tend à favoriser le savoir-agir et le pouvoir d’agir à travers les démarches de collaboration, d’enquête et de recherche, d’analyse des pratiques professionnelles, et plus généralement une ouverture sur les enjeux actuels de la société de l’information dans un contexte de numérisation des formations. Cette formation s’appuie aussi sur la formation à la recherche, qui passe à la fois par la réalisation d’un travail de recherche pour l’action professionnelle et par une sensibilisation forte des étudiant.e.s en formation à l’actualité de la recherche, notamment par la participation à des séminaires ou journées leur permettant de rencontrer des chercheuses et chercheurs en SIC et plus largement en sciences sociales.

Y a-t-il un parcours à privilégier pour passer le concours ?

Une dimension documentaire dans le parcours universitaire est conseillée (une licence Information-Communication bien sûr, mais aussi une option documentation, un DUT ou une licence professionnelle Métiers du livre on Information numérique...) mais si un parcours en information-communication est un atout évident, il n’est pas indispensable. Les étudiant.e.s préparant le CAPES Documentation viennent d’horizons très divers, sciences du langage, histoire, lettres, sciences, langues étrangères, arts, cinéma…

En outre, de plus en plus d’étudiant.e.s s’inscrivent en master documentation après un doctorat ou une première expérience professionnelle. Les groupes sont ainsi variés et les étudiant.e.s s’entraident sur la base de leurs connaissances respectives. Ils.elles sont la plupart du temps soudé.e.s et travaillent dans un logique de coopération et non de compétition malgré la situation de concours. Ils.elles sont aussi déterminé.e.s à communiquer, via les réseaux socionumériques notamment, qu’ils.elles doivent nécessairement apprendre à maîtriser et qui seront des dispositifs essentiels à leur pratique professionnelle future.

Comment se déroule la formation en Inspé ?

Le Parcours Documentation est un Master 2nd degré. La maquette globale de formation suit donc la structuration de tous les Master MEEF 2nd Degré. En plus d’enseignements communs aux autres parcours disciplinaires, des enseignements (majoritaires) spécifiques au métier d’enseignant documentaliste sont dispensés. Il s’agit de fournir aux étudiant.e.s les méthodes pour se préparer et réussir les épreuves du CAPES de Documentation et aux futur.es professeur.es documentalistes la culture professionnelle en Sciences de l’Information et de la Communication nécessaire à l’exercice du métier en établissement scolaire.

Jusqu’en 2021, les étudiant.e.s réalisaient 4 semaines de stage en Master 1 et un stage à mi-temps pour les lauréat.e.s du concours en M2, ou un stage filé pour les non lauréat.e.s.

La première année est dédiée à la découverte des sciences de l’information et de la communication, du système éducatif, des enjeux de la culture de l’information, de l’édition et des médias, à la bibliothéconomie et aux outils de la documentation (recherche, veille, gestion, communication de l’information), au montage de projets pédagogiques et culturels. En parallèle, la méthodologie du concours est travaillée tout au long de l’année, en préparation des épreuves écrites et orales, qui font l’objet de plusieurs capes blancs.

La seconde année est orientée vers les pratiques de terrain et les projets. Un suivi individualisé du stage assuré en parallèle par un.e tuteur.rice “terrain” choisi.e par le rectorat et un.e tuteur.rice INSPE. Le mémoire de recherche permet non seulement d’ancrer une réflexion sur les pratiques de terrain, mais surtout de mettre en place un questionnement, une problématique et des méthodes de recherche. Ce travail de recherche est exigeant, c’est pourquoi il est suivi par des enseignant.es chercheur.ses ou des docteur.e.s en sciences de l’information et de la communication.

Certain.e.s étudiant.e.s poursuivent ensuite en thèse de doctorat tout en entrant dans le métier après leur titularisation. L’articulation entre recherche et formation est donc fondamentale et particulièrement valorisée dans le parcours documentation.

Quelques exemples de projets ou initiatives au sein des Inspé de Bordeaux, Montpellier, Rouen et Strasbourg.

- Participation chaque année des étudiants à des évènements (forum du numérique, journée de l’innovation, journée e-réputation, etc.) pour présenter des projets menés avec des élèves autour de la culture numérique notamment ;
- Organisation d’évènements par les étudiant.e.s en documentation à destination des autres étudiants : cryptopartie, hackatons pédagogiques, cartographies de controverses, Fablabs, ateliers thématiques ;
- Création et suivi d’outils de communication par les étudiant.e.s en documentation : blog (avec des entretiens avec des chercheurs, comptes-rendus de lectures, expériences, critiques etc.), padlets de ressources pour les enseignants, notamment pendant les confinements, outils ;
- Participation aux journées dédiées à la formation continue des enseignant.e.s et des métiers de la documentation et des bibliothèques, en partenariat avec le Rectorat ;
- Participation ou animation de journées dédiées à la recherche, journées d’études, séminaires, rencontres et entretiens avec des chercheurs invités ;
- Partenariats au long cours avec CANOPE, CLEMI, DAAC, médiathèques, musées, éditeurs, acteurs de la littérature de jeunesse, salons du livre, institutions culturelles, DRAC, URFIST, etc. ;
- Possibilité de suivre le master à distance notamment avec des robots de téléprésence ;

- Possibilité de poursuivre vers un autre master (Pratiques et ingénierie de la formation) pour les étudiants qui ne souhaitent pas poursuivre vers l’enseignement ;
- Intervention des professeurs-documentalistes responsables des Centres de Ressources Documentaires des sites dans les formations du Master MEEF 1er degré (UE Recherche, UE numérique) et dans la licence pluridisciplinaire sur la méthodologie du travail étudiants et les UE interdisciplinaires ;
- Préparation au capes interne de documentation ;
- Échanges internationaux.

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