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« Le rapport à la laïcité est extrêmement contextualisé, et c’est de ces contextes que devraient partir toutes les formations » (Nicolas Sembel, référent laïcité de l’Inspé d’Aix-Marseille)

Entretien avec Nicolas Sembel, sociologue de l’éducation et référent laïcité de l’Inspé d’Aix-Marseille

La laïcité est une « question socialement vive » faisant l’objet d’une formation à destination des futur-e-s enseignant-e-s au sein des INSPÉ partout en France. Du point de vue sociologique, comment analysez-vous le caractère « socialement vif » de la laïcité à l’école ?

Nicolas Sembel : « Si l’on prend la laïcité comme un « fait social » au sens de Durkheim, en le « dévoilant » de ses « habits » non scientifiques pour l’objectiver dans ses pratiques, ses usages, ses conceptions, deux constats émergent.

D’une part la grande diversité des réalités que la notion recouvre, réalités qui ne se valent pas toutes, certes, mais qui constituent globalement une richesse, et qui relativisent l’entreprise académique de définition du terme. Alors que cette définition est posée comme un préalable à toute formation, la laïcité se définit aujourd’hui par la multiplicité des pratiques, usages, conceptions, autant de variations sociales du phénomène « rapport à la laïcité ».

Ce rapport est extrêmement contextualisé, et c’est de ces contextes que devraient partir toutes les formations. Expérience (de formation) faite, ne pas partir des bases, dates, définitions et conceptions dominantes, en une approche finalement dogmatique ; mais au contraire co-construire une approche située, réflexive, dans une perspective de construction conjointe d’une posture de développement professionnel, apporte une immense respiration. Ce qui permet de prendre en compte toutes les questions vives, en adossant le tout à la recherche, dans une démarche de questionnement, problématisation, observation, analyse de pratiques.

D’autre part, une pratique dominante du rapport à la laïcité est la « catholaïcité » : cette laïcité républicaine qui noue une relation différente, et donc privilégiée, au catholicisme français, de par une tradition historique inévitable, mais en contradiction avec la démarche et la posture laïques de traitement égalitaire de toutes les religions. Le « parfait laïque » n’existe probablement pas, il est produit d’une histoire et ici cette histoire est catholique.

L’objectif de formation sociologique, dans un souci de réflexivité, consiste néanmoins à mettre « au travail » cet aspect souvent inconscient, mal objectivé, et par hypothèse très répandu chez les enseignant-e-s, du rapport à la laïcité. »

Les INSPÉ ont pour mission d’adosser la formation des futur-e-s enseignant-e-s à la recherche. Comment cet adossement se traduit-il concrètement en matière de formation à la laïcité ?

« Toutes les recherches empiriques autour de ces thématiques sont intéressantes pour traduire la diversité des contextes évoquée à l’instant. Toutes n’ont certes pas le même degré d’objectivation, notamment par rapport à la catholaïcité, mais toutes disent quelque chose de la période et peuvent donc être, à cette condition, prises comme exemples en formation.

Ainsi l’adossement de la formation à la recherche est-il préservé de toute entrée par les bases, comme nous venons de le voir, mais aussi de toute entrée par une hiérarchie des exemples (au contraire, tous les exemples se valent), une hiérarchie des disciplines (toutes sont replacées sur un pied d’égalité), une hiérarchie des spécialistes, des expertises et des statuts (tous les points de vue sont nécessaires pour l’objectivation complète du phénomène), voire même, de toute hiérarchie des contextes (tous sont formatifs).

L’adossement à la recherche n’est plus l’éclairage par la recherche, point de vue d’expert-e ponctuellement mobilisé pour éclairer, mais bien une démarche de recherche collaborative, participative, potentiellement accessible à tou-te-s. La problématisation déconstruit, l’observation et l’opérationnalisation alimentent, l’analyse distancie. Son véritable objet est la réflexivité de l’individu, enseignant-e, élève, chercheur-e, parent-e, partenaire institutionnel ou associatif, dans la démarche d’enquête finalement sur soi-même comme être social confronté hic et nunc à une question vive.

Ainsi toute heure de formation est adossable à la recherche, toute heure d’apprentissage, toute heure d’enseignement, toute heure de formation initiale ou continue ; et toute recherche peut être didactisée pour accepter cet adossement systématique. De ce résultat, aboutissement toujours provisoire d’un processus de formation tout au long de la vie, naît l’apport principal de l’adossement à la recherche : un esprit critique généralisé. »

Quels éléments et cadres de réflexions la sociologie est-elle en mesure d’apporter aux enseignants pour leur permettre de comprendre ce qui se joue dans leurs classes et dans la société sur ce sujet sensible de la laïcité ?

« Ce qui se joue dans les classes, écoles, établissements, quartiers environnants, et tous les espaces de la société, d’un point de vue sociologique, est la relation pédagogique et donc sociale qui caractérise toute question vive, tout sujet sensible, dont les rapports à la laïcité, aujourd’hui au premier plan à cause de la tragique actualité.

Que cette relation soit caractérisée, globalement, par le fossé social plus ou moins grand avec les élèves (et parents) socialement défavorisés, ou la connivence plus ou moins forte avec les élèves (et parents) de classe moyenne ou favorisée, elle questionne la position objectivement socialement favorisée de tout-e enseignant-e. Elle est donc à ce titre prise de conscience, dérangement, et source de renforcement. Ici se situe selon nous le cœur sociologique de la formation des enseignant-e-s : l’oubli systématique de leur position sociale (quelle que soit par ailleurs leur origine sociale), de ce que cette position produit comme « effet-maître », « effet-classe », « effet-établissement »…

Le véritable universalisme, sur ces questions vives, sur cette laïcité inscrite dans la Constitution et nous obligeant tou-te-s, qui sommes à un « instant t » sur le sol national, pris dans un avenir commun, ne peut selon nous se retrouver que dans le développement de l’esprit critique, inscrit dans la même loi de 2013 dite « Peillon », dans l’adossement de la formation des enseignant-e-s à la recherche. Le cadre est universaliste, les éléments réflexifs, la sociologie objectivante, et la laïcité, ciment. »

Références bibliographiques :

Durkheim E., Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 1912/1985.

Miqueu C. Gros P., Comprendre la laïcité, Paris, Max Milo, 2017.

Mucchielli L., La France telle qu’elle est, Paris, Fayard, 2020.

Visionnez (ou revisionnez) les temps forts de la journée d’études « Laïcité & fraternité » organisée par le Réseau des INSPÉ et l’INSPÉ Lille HdF.

Conférence : La laïcité, une promesse de fraternité

Gwenaële CALVÈS, Professeure de droit public, CY Cergy Paris Université

Table ronde : Laïcité & fraternité, un lien nécessaire

Table ronde animée par Christophe MIQUEU, référent Laïcité de l’INSPÉ de l’académie de Bordeaux
• Isabelle de MECQUENEM, référente Laïcité de l’INSPÉ de l’académie de Reims, membre du Conseil des sages de la laïcité
• Mathieu CLOUET, IA IPR, référent Laïcité de l’Académie de Lille
• Maxime SARAIVA, délégué départemental Education, Ligue de l’enseignement

Conférence et clôture de la journée d’études

  • Conférence : Abdennour BIDAR, philosophe, inspecteur général, membre du Conseil des sages de la laïcité
  •  Clôture de la journée d’études : Nicolas SEMBEL, référent Laïcité de l’INSPÉ Aix Marseille – Isabelle de MECQUENEM, membre du Conseil des sages de la laïcité

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