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L’enseignement laïque des faits religieux : une question toujours vive en formation des enseignants ?

Anne Vézier, MCF Histoire et didactique, Nantes Université/Référente laïcité INSPÉ
Françoise Beauger-Cornu, référente laïcité INSPÉ Centre Val de Loire
Nathalie Plaza, Professeure d'Histoire-Géographie-EMC, Formatrice académique Valeurs de la République, Académie de Nantes

Le contexte, sociétal et politique, depuis ces dernières années a contribué à dramatiser la question de la pertinence d’un enseignement des faits religieux dans une école qui récuse le port des signes religieux ostensibles chez les élèves, tout en leur laissant la liberté de conscience (et donc d’expression). Cet enseignement revu comme un enseignement transversal aux disciplines depuis le rapport Debray, 2002, suscite des interrogations et des inquiétudes chez les enseignants. Cet enseignement met en tension savoirs et valeurs, relevant ainsi des questions socialement vives (Legardez, Simonneaux), vives potentiellement à trois niveaux : dans la société, au niveau des savoirs scientifiques et à l’école. Les enseignants font face effectivement à des enjeux politiques, sociaux et didactiques. Est-ce que cela implique une prise en charge spécifique en formation des enseignants ?

Le cadre posé ici est celui de l’enseignement dans la classe des faits religieux et non celui de la gestion du fait religieux social et de ses manifestations scolaires.

Trois interrogations sont proposées pour articuler la discussion :

  • Comment armer les professeurs en formation ? Faut-il y aborder ou esquiver les débats qui traversent la société ?
  • Quelles postures dans la dimension éthique et/ou épistémologique ?
  • Quelles questions poser aux élèves ? Autour de quoi travailler ? Où sont les enjeux d’apprentissage pour les élèves ?

Sont intervenues Aline Girard, Enseigner le fait religieux à l’école : une erreur politique ? 2021, Minerve et Isabelle Saint-Martin, Peut-on parler des religions à l’école ? Plaidoyer pour l’approche des faits religieux par les arts, Albin Michel, 2019.

Les titres sous forme de question rhétorique sont le fait des éditeurs respectifs des auteures. Pour contribuer à la réflexion sur des enjeux de formation, le choix a été fait de réunir une diversité d’actrices et d'acteurs impliqués actuellement dans la formation des enseignants (les animatrices et les participants à l’atelier) et des auteures, de la société et du champ académique, intéressées à ces enjeux à partir de positions plus éloignées : Aline Girard est conservateur général honoraire des bibliothèques et secrétaire générale adjoint du Comité Laïcité République ; Isabelle Saint-Martin est historienne de l’art, directrice d'études à l'EPHE (Arts visuels et christianisme, XIXe-XXIe siècle) et ancienne directrice de l’Institut européen des sciences religieuses, créé pour accompagner l’institutionnalisation de cet enseignement.

Aline Girard interroge la légitimité de cet enseignement en revenant sur l’historique de son institutionnalisation et les points de débat. Elle voit cet enseignement comme un évènement scolaire mineur mais un évènement social majeur. Pour elle, on ne doit pas seulement se demander « comment je dois l’enseigner », mais plutôt « pourquoi le faire » ? Il y a donc lieu d’aborder les débats sur la légitimité de cet enseignement en formation. Pour les formateurs présents, ce questionnement sur le « pourquoi » n’est pas seulement politique, mais ouvre à une réflexion sur les enjeux didactiques.

Isabelle Saint-Martin se situe d’emblée du point de vue de l’étude en classe. Elle rappelle que les faits religieux ne forment pas une discipline à part mais s’inscrivent dans les disciplines scolaires et dans leurs programmes. Ils sont donc abordés à partir des outils spécifiques de ces disciplines. Pour elle, on étudie les faits religieux comme des faits sociaux qui ont différents aspects, dont des aspects religieux. Il s’agit donc d’en faire un objet d’étude permettant de créer du savoir et du discernement.

Quand Aline Girard soulève la question « pourquoi s’inquiéter de l’inculture religieuse des élèves, plutôt que d’une autre inculture ? », Isabelle Saint-Martin voit dans l’enseignement des faits religieux la possibilité d’étendre le champ des savoirs. Il ne peut y avoir de sujets tabous, mais l’école doit en parler de manière informée.

La question de la visée d’un tel enseignement s’est posée : s’agit-il de faire des élèves des citoyens tolérants ou des citoyens émancipés ? Pour Isabelle Saint-Martin, ouvrir les élèves aux faits religieux permet de les informer de la diversité du monde, et non pas seulement répondre à la diversité des élèves dans la classe. Aline Girard prend position contre le risque d’en faire le moyen d’un réarmement intellectuel pour lutter contre le « démembrement communautaire des sociétés civiles ». Elle y voit un projet ambigu cherchant à faciliter le vivre ensemble de populations multiculturelles.

Trois idées phares à retenir de la discussion en atelier :

1- Préciser, redéfinir les enjeux de cet enseignement : il s’agit en premier lieu de participer au développement des compétences critiques chez les élèves : mener une démarche d’investigation, apprendre à argumenter... Il s’agit également de permettre une prise de distance de soi à soi, une ouverture sur la diversité du monde pour être capable de faire un jour, peut-être, un pas de côté. Cela suppose faire la distinction entre enseigner les faits religieux et gérer le religieux dans la classe et à l’école.

2- Questionner la posture de l’enseignant et interroger sa neutralité * : il s’agit de faire prendre conscience à chacun de ses biais afin d’en tenir compte. L’un des formateurs témoigne de conduites de retrait envers les formations à un enseignement laïque des faits religieux. Autrement dit, l’émotion est aussi du côté enseignant. L’obligation de neutralité ne devrait pas se confondre avec une stratégie d’évitement ou avec une stratégie de refroidissement de l’objet comme uniques solutions. Donner une place aux émotions dans la démarche de questionnement et d’enquête est donc un enjeu en formation et un enjeu en classe.

3- Didactiser pour faire de cet enseignement des faits religieux un objet commun : l’hypothèse est faite qu’une démarche didactique par rapport à ces enjeux pourrait permettre de répondre aux peurs du côté des enseignants face aux réactions possibles des élèves et parents d’élèves. Pour l’un des formateurs présents, il s’agit de réfléchir en didacticien. Il donne comme exemple « comment didactiser la laïcité et la rendre enseignable ? », laquelle suppose de déployer le questionnement. Peut-on enseigner des savoirs mouvants ? Sous quel angle l’aborder : comportements à adopter ? éducation à la citoyenneté ? ou plutôt un enseignement : instruction civique et approche juridique ?

Quelques pistes de bibliographie et sitographie :

Pour questionner la posture de neutralité,

Collectif (2021). Laïcité et postures enseignantes, Ressources, 23 : table des matières et textes en accès libre sur https://inspe.univ-nantes.fr/revue-ressources

Pour des points de vue d’historiens et de didacticiens,

Avon, D., Saint-Martin, I., & Tolan, J. (Éds.). (2018). Faits religieux et manuels d’histoire : Contenus, institutions, pratiques, approches comparées à l’échelle internationale. Éditions Arbre bleu.

Pour un point de vue de recherche didactique,

Vézier, A. (2018). Éducation à la laïcité et enseignement laïque du fait religieux : Enjeux d’une pédagogie du discernement. Éducation et socialisation, 48. https://doi.org/10.4000/edso.2964

cf la Revue de didactique des sciences des religions / Zeitschrift für Religionskunde, une revue bilingue qui « se propose d'accompagner et d'étudier l'enseignement des faits religieux à l'école. Elle réunit des questionnements scientifiques, didactiques et pratiques »., articles en accès libre sur https://www.religionskunde.ch/

Pour introduire à un questionnement critique,

Meylan, N. (2019). Qu’est-ce que la religion ? Onze auteurs, onze définitions, Genève, Labor et Fides.

https://eduscol.education.fr/1623/l-enseignement-des-faits-religieux#main-content (màj août 2022)

 

Retrouvez la conférence inaugurale de la journée d'études "Former et se former à la laïcité" :
  • Alain Frugière, président du Réseau des INSPÉ
  • Dominique Schnapper, présidente du Conseil des Sages de la Laïcité

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