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Réseau des INSPÉ : «Si un signal fort n’est pas donné cette année, la réforme ne verra pas vraiment le jour»

Le Réseau des INSPÉ est autorisé à reproduire, avec l’aimable autorisation de News Tank Éducation & Recherche, cet article.

« Si un signal fort n’est pas donné cette année, la réforme ne verra pas vraiment le jour. Il faut des changements profonds dès les écrits cette année. Si l’on veut des enseignants bien formés, il faut que les concours soient modifiés, sinon la réforme ne touchera au mieux que la moitié des enseignants, ceux passés par le master Meef », déclare Alain Frugière, directeur de l’Inspé de Paris et président du Réseau des Inspé, à News Tank le 16/03/2022.

Elsa Lang-Ripert, directrice de l’Inspé de Bourgogne et vice-présidente du réseau, ajoute ne pas avoir « de réelle assurance sur le fait que ces concours correspondront à notre souhait de professionnalisation accrue, mais fond[er] de grands espoirs ».

La partie réglementaire de la réforme de la formation des enseignants et CPE étant désormais terminée, elle indique : « Nous construisons cette réforme avec nos équipes, nous nous en emparons au quotidien. »

Toutefois, elle déclare qu’« il y a eu des cas de burnout, la question de qualité de vie au travail a été très prégnante, les CHSCT ont été mobilisés. Il ne faut pas cacher que cela a été et c’est toujours compliqué. Notre rôle de directeur est de les accompagner au quotidien mais également d’échanger avec les tutelles pour avoir les informations dans les temps nécessaires à la mise en œuvre de cette réforme ».

« Nous avons beaucoup de retours de collègues et ils ont, pour beaucoup, une certaine foi par rapport à la mission. C’est pour cela que nous ne demandons pas une révolution de la réforme, nous souhaiterions plutôt partir de l’existant et voir comment on peut l’améliorer », conclut le président.

Ils reviennent pour News Tank sur la mise en place de la réforme depuis la rentrée 2021 et sa pleine application à la rentrée 2022, notamment sur l’alternance en M2, les enseignements par des praticiens, ou encore l’année de stagiairisation.

« Une clé importante de la réussite de la réforme, c’est sa mise en œuvre réelle dans les concours de recrutement »

Les premiers concours sous leur nouvelle forme ont débuté. Êtes-vous confiants sur l’aspect professionnalisant de ceux-ci, que vous appelez de vos vœux depuis le début de la réforme ?

Alain Frugière : Une clé importante de la réussite de la réforme, c’est sa mise en œuvre réelle dans les concours de recrutement. Les textes montrent une profonde transformation des concours, une évaluation des différentes compétences métiers. Pour nous, les arrêtés concours et les sujets zéro vont dans le bon sens. Il ne s’agit pas d’opposer le disciplinaire aux autres compétences du métier. On est confiants mais vigilants.

Nous avons alerté la semaine dernière au cabinet du ministère, si un signal fort n’est pas donné cette année, la réforme ne verra pas vraiment le jour. Il faut des changements profonds dès les écrits cette année. Si l’on veut des enseignants bien formés, il faut que les concours soient modifiés, sinon la réforme ne touchera au mieux que la moitié des enseignants, ceux passés par le master Meef.

Elsa Lang-Ripert : Nous n’avons pas de réelle assurance sur le fait que ces concours correspondront à notre souhait de professionnalisation accrue, mais nous fondons de grands espoirs.

À la rentrée 2021, vous émettiez quelques réserves sur la surcharge de travail potentielle pour les étudiants en M2 ayant choisi l’alternance en responsabilité, qu’en est-il ?

ELR : À partir des retours de nos étudiants, que nous côtoyons tous les jours en formation, les craintes sont avérées. Ils sont très fatigués, avec un état de stress avancé en cette période des épreuves écrites des concours. Pour certains, la question du choix se pose entre leur cours à préparer pour leur classe, le concours à réviser et les cours du master à suivre. Les trois domaines sont fondamentaux et demandent une charge de travail importante, certains n’ont pas la capacité de mener les trois de front. Nous n’avons certes pas constaté beaucoup de démissions d’étudiants contractuels, mais nous savons qu’ils priorisent certains domaines.

Il est difficile de tirer un bilan de l’année 2021-2022, car il s’agit d’une année de transition. Les étudiants qui suivent la nouvelle formule du master Meef sont ceux qui n’ont pas eu leur concours l’an dernier. Nous pouvons donc nous demander s’ils sont représentatifs de ce que sera par la suite une promo de M2.

AF : Concernant les stages, nous avions demandé à ce que tous les étudiants en Meef puissent bénéficier de 15 jours de pause avant les épreuves écrites. Le ministère en a octroyé une sur les deux. L’argument est qu’ils considèrent que le fait de faire ce stage est un plus pour réussir le concours.

Une partie de la clé est là : si le fait d’avoir fait un stage en responsabilité devant élèves, indépendamment des qualités personnelles, et si une formation au métier dans ses différentes dimensions (disciplinaires, mais aussi didactiques, pédagogiques, etc.) leur donne plus de chances de réussir le concours, c’est là qu’on verra la réalité des choses. Pour l’instant, ils entendent encore trop souvent que le concours ne changera pas drastiquement, ce qui ne peut qu’ajouter un stress supplémentaire.

À la rentrée 2021, la moitié des étudiants dans le premier degré et un tiers dans le second avaient choisi l’alternance, cette proportion sera-t-elle similaire en 2022 ? Souhaitez-vous une évolution ?

ELR : La DGRH nous a indiqué qu’il y aura le même nombre de contrats pour les étudiants en alternance en M2 à la rentrée 2022 qu’à la rentrée précédente, soit 10 800 contrats à tiers-temps disponibles pour l’enseignement public. La différence est que la réforme sera totalement mise en place, donc beaucoup plus d’étudiants devraient pouvoir bénéficier de cette possibilité en M2. Si tous les étudiants, environ 30 000, souhaitaient réaliser leur M2 en alternance, seul un sur trois en aurait donc la possibilité. En réalité, ce calcul est à relativiser, car tous n’ont pas souhaité prendre ce stage en alternance à la rentrée 2021.

L’an dernier, les rectorats avaient été pris par le temps et avaient organisé les recrutements d’alternants très tardivement, parfois en juillet. Cette année, le message des étudiants pour une organisation en amont a été entendu. Le calendrier a été avancé pour débuter les procédures de recrutement entre avril et mai selon les académies. L’idée partagée par tous est que tout le recrutement et l’affectation soient terminés avant les départs en congés d’été.

AF : Nous voulons que ces stagiaires ne soient pas des moyens d’enseignement en tant que tels. Ce stage a une dimension professionnelle, il faut des tuteurs à proximité dans l’établissement pour l’accompagner. Ce n’est pas le stage en lui-même qui peut être professionnalisant ou délétère, mais ce sont les conditions de stage qui jouent un rôle essentiel.

Justement, comment faire pour que ces stages soient réellement professionnalisants et ne pallient pas un manque d’enseignants ?

ELR : Les rectorats, avec qui nous travaillons étroitement, ont leurs propres contraintes de moyens. Pour autant, nous partageons le même enjeu de réussite des étudiants qui seront leurs futurs enseignants. Nous sommes persuadés que les services académiques font tout leur possible pour trouver des lieux de stage qui soient véritablement professionnalisants, le moins loin possible du lieu de formation, et, autant que faire ce peu, des tuteurs motivés et formés. Face à la masse d’étudiants à placer, c’est dans un dialogue très fin avec les partenaires académiques que nous arrivons à trouver des solutions.

AF : Je prends un exemple local, l’une des idées c’est de mettre nos contractuels sur la décharge des maîtres formateurs, qui eux disposent d’une décharge d’un tiers temps. Ce qui fait qu’ils sont généralement soit dans des écoles d’application, soit dans un environnement avec un tuteur qui est maître formateur, cela peut être un élément de réponse très intéressant. La limite restera toujours les moyens d’enseignement. Nous ne sommes pas obsédés par l’idée de moyens d’enseignement, c’est une question pratique, d’efficacité dans la formation.

Pour que ces stages soient réellement professionnalisants, le rôle des tuteurs en établissement est aussi crucial. Leur formation a-t-elle évolué à l’aune de la réforme ?

ELR : La formation des tuteurs a toujours existé, mais nous l’avons renforcée cette année dans le cadre des nouveaux stages, afin que chacun comprenne bien les missions et les enjeux du nouveau master. Dans ce temps d’information et de formation avec les tuteurs, l’idée est bien de construire ensemble une voie pour que les étudiants réussissent leur master et leur entrée dans le métier.

Même si nos collègues de terrain acceptent cette mission de tuteurs parce qu’ils ont ce souci de transmission des gestes professionnels, on pourrait aussi espérer que leur prime soit revalorisée, au vu du travail très important que cela représente d’accompagner ces étudiants pendant un tiers de l’année.

L’un des objectifs de la réforme était en outre qu’un tiers des enseignements du master Meef soit réalisé par des praticiens de terrain. L’objectif est-il atteint ?

ELR : Nous savions tous que cet objectif de 33 % de praticiens n’était pas un objectif de rentrée, mais que nous nous donnions le temps de pouvoir l’atteindre. Le ministère avait compris dans les discussions que l’objectif de 33 % de professeurs des écoles était difficile à atteindre et avait donc un peu assoupli pour le Meef premier degré avec la participation d’un pourcentage de professeurs du secondaire.

Nous restons très dépendants des moyens que les rectorats peuvent mettre à notre disposition. Suivant les possibilités des rectorats localement, nous atteindrons cet objectif plus ou moins rapidement.

AF : Ce n’est pas évident d’accueillir un étudiant en stage, même quand on est un excellent enseignant, cela nécessite des compétences particulières qui sont celles d’un formateur. Elles doivent s’acquérir. Il faut mobiliser les collègues pour qu’ils puissent intervenir directement dans les Inspé, il y a tout un travail de constitution d’un vivier. Cela pourrait être intéressant pour les tuteurs de compléter leur formation par une certification ou une diplomation universitaire, certains le demandent.

ELR : Dans l’académie de Dijon, le rectorat a par exemple fait un effort considérable pour mettre à disposition de l’Inspé des professeurs des écoles à hauteur de 33 % à la rentrée 2021. Certains collègues PEMF ont ainsi été déchargés spécialement pour la formation initiale. Pour autant, les collègues formateurs, qui ont été sélectionnés par le rectorat et l’Inspé, se rendent compte après six mois qu’il n’est pas si simple, malgré leur expertise, de travailler à l’université et de former des étudiants pour être futurs enseignants.

Malgré nos précautions, d’intégration à l’équipe de l’Inspé, d’accompagnement et coopération renforcés, certains formateurs trouvent le rythme universitaire lourd et la tâche un peu rude. Ce n’est donc pas uniquement une question de moyens, il y a aussi tout un travail d’accompagnement de ses collègues à réaliser.

Pour ces enseignants en service partagé, le réseau porte d’ailleurs le souhait d’un statut particulier…

AF : Le 24/02, nous avions une réunion avec les cabinets des deux ministres, Guillaume Gellé [vice-président de France Universités] et moi-même. C’est un sujet qui a en effet été remis sur la table. Je crois qu’il est important et même essentiel d’arriver à construire, je devrais dire de reconstruire, ce statut d’enseignant ou de CPE en service partagé, car ce sont des collègues qui ont des compétences importantes et complémentaires à celles des enseignants-chercheurs et des enseignants affectés à temps dans les Inspé et les UFR.

Mais, pour susciter ou maintenir des vocations, il faut qu’ils soient protégés : que le temps qu’ils consacrent à leur fonction de formateur Inspé puisse être valorisé dans leur carrière, notamment lors des rendez-vous de carrière. Il y a toute une série de questions sur le recrutement par exemple pour qu’ils soient recrutés de manière harmonisée dans les différents Inspé, les frais de transport… Le ministère est sensible à cet enjeu c’est évident, maintenant il faut transformer l’essai.

L’arrêté relatif à l’année de stagiairisation, organisée après l’obtention du concours, a été publié le 17/02. Il supprime notamment l’alternance pour les diplômés du master Meef au profit d’un crédit de jours de formation, ce à quoi vous étiez plutôt défavorable…

ELR : Notre position était plutôt que les titulaires d’un master Meef aient un temps d’alternance sur le temps long, et donc encore une véritable année de stage durant l’année de fonctionnaire stagiaire, dans un schéma de continuum de formation. Nous savions que l’année de stagiairisation prendrait cette forme, que ce soit pour les mi-temps ou les pleins-temps, mais c’est la manière de la mettre en œuvre qui nous a questionnés.

Depuis plus d’un an, nous avons largement averti nos tutelles qu’il fallait une décision rapide pour que les directeurs d’Inspé et leurs équipes puissent travailler de manière plus sereine à l’organisation de cette formation post-concours. Elles se sont engagées pour que nous ayons toutes les informations en mars, ce n’est malheureusement pas le cas. Toutefois, les directions générales ont entendu le fait qu’il s’agissait bien d’une année supplémentaire de formation à organiser pour les Inspé, et que nous avions donc des besoins financiers en matière de RH. Nous attendons encore les arbitrages finaux.

L’arrêté de février porte quelques orientations en termes de formation, mais qui restent encore trop vagues pour que nous puissions concrètement nous mettre au travail avec les universités et les partenaires académiques.

Comment vous organisez-vous donc pour mettre en place cette année post-concours à la rentrée 2022 ?

ELR : Au sein du réseau, nous avons donc travaillé sur les champs de compétences à consolider pour les titulaires d’un master Meef et sur le socle minimal de compétences à acquérir pendant cette année de stage à mi-temps pour ceux qui n’ont eu aucune formation à l’enseignement avant le concours. Il nous manque des réponses à des questions essentielles : sous quel statut seront-ils inscrits à l’université ? de quel temps de formation vont-ils disposer ? quels contenus de formation sont attendus ? Et surtout, de quels moyens RH disposerons-nous ?

France Universités partage nos inquiétudes et nos interrogations, et accompagne le réseau dans ce dialogue avec les tutelles. Ces étudiants arrivent le 01/09/2022, nous avons très peu de temps pour construire ces maquettes et pour les faire passer dans les instances universitaires. Nous n’envisageons pas très sereinement la prochaine rentrée, à nouveau…

L’enjeu majeur de cette formation post-concours concerne les lauréats du concours n’étant pas passés par un master Meef. Nous avons six mois pour les former à un métier très complexe qui, nous le savons tous, nécessite bien plus que six mois de formation.

Les Inspé prêchent pour une professionnalisation sur cinq ans, nous aurons une moitié d’année pour une partie d’entre eux…

Cette publication marque la fin de la partie réglementaire de la réforme entamée en juillet 2019. Quel premier bilan en faites-vous ?

ELR : Les équipes ne sont pas en pleine forme, la rentrée 2021 a été très compliquée et le Covid n’a pas aidé. Elles ont fait preuve de beaucoup d’abnégation, de professionnalisme, d’engagement, des termes que nous utilisons souvent mais qui sont réels. Nous construisons cette réforme avec nos équipes, nous nous en emparons au quotidien.

Il y a eu des cas de burnout, la question de qualité de vie au travail a été très prégnante, les CHSCT ont été mobilisés. Il ne faut pas cacher que ça a été et c’est toujours compliqué. Notre rôle de directeur est de les accompagner au quotidien mais également d’échanger avec les tutelles pour avoir les informations dans les temps nécessaires à la mise en œuvre de cette réforme.

AF : Nous avons beaucoup de retours de collègues et ils ont, pour beaucoup, une certaine foi par rapport à la mission. C’est pour cela que nous ne demandons pas une révolution de la réforme, nous souhaiterions plutôt partir de l’existant et voir comment on peut l’améliorer. Ceci est en lien avec les trois propositions que nous avons formulées pour l’élection présidentielle. Nous voulons un personnel le mieux formé possible pour assurer la réussite de tous les élèves. Dans la majorité des cas, les équipes sont engagées.

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